UN PROVISEUR TÉMOIGNE... Cool ! Le lycée coule C'est avec beaucoup d'humour et d'ironie que Michel Loirette nous dresse le portrait d'un milieu qu'il connaît bien pour être lui-même proviseur dans une de ces banlieues "chaudes". Donnez votre avis en laissant vos commentaires sur le blog dédié au livre INTERVIEW Récit autobiographique ou fiction ? Michel LOIRETTE est chef
d'établissement depuis 1977, il a été principal de collège dans le Val d'Oise
avant de devenir proviseur en 1982 dans le département de l'Essonne. Il a dirigé
le lycée Jacques Prévert de Longjumeau pendant 12 ans et il est à la tête du
lycée du Parc des Loges, à Evry, depuis 9 ans. C'est dire qu'il connaît bien
les problèmes auxquels sont confrontés les établissements situés dans des zones
urbaines ou périurbaines. Souriant et détendu, il nous
reçoit dans un bureau aux murs ornés de tableaux contemporains (œuvres d'amis
artistes). Au milieu des peintures, une photographie dédicacée de Maurice
Baquet, souvenir d'une prestation du comédien au lycée d'EVRY. Il nous raconte comment lui
est venue l'idée de son dernier roman : Cool ! Le lycée
coule ! « On ne passe pas 36
ans de sa vie dans des établissements scolaires sans avoir envie d'en parler et
de raconter ce qui s'y passe. » Initialement, le livre aurait dû
s'intituler Le tag mais
l'éditeur (Osmondes) a préféré un titre plus incisif car le récit est
volontiers satirique et un brin iconoclaste. Des personnages, un univers
romanesque Lorsqu'on lui demande si le
lycée Gaston Biraton ressemble à celui qu'il dirige, Michel LOIRETTE s'empresse
de répondre qu'il n'en est rien. « Il s'agit d'un roman,
d'une œuvre de fiction, même si, comme toujours, en littérature, le récit
s'appuie sur des événements bien réels et parfois autobiographiques. Julien Chabrenac, le
proviseur adjoint, Bergounelle, le proviseur, sont des personnages romanesques. J'ai emprunté des
traits de caractères (il sourit) à des personnes que j'ai connues mais les
péripéties qu'ils vont vivre
s'inscrivent dans la logique d'un récit imaginaire. Julien Chabrenac, le héros
principal, est un intellectuel, introverti et naïf qui a vécu jusqu'à l'âge
de trente ans, dans un univers
surprotégé. Il découvre dans ce lycée de province que la vie n'est pas comme
dans les livres. Après un mariage raté, un divorce qui s'est mal passé, il donne le sentiment d'un être faible
qui supporte les adversités de la vie comme une fatalité. Ses aventures
amoureuses sont autant de fiascos jusqu'au jour où... » Une si jolie ville de
province ! Julien Chabrenac va
découvrir un lycée et une ville de province qui ne correspondent nullement à
l'idée qu'il s'en faisait. « ...Il dut bien constater que le lycée où il
venait d'être nommé se trouvait au cœur même d'une ville nouvelle, sur des
hauteurs où des barres d'immeubles écrasaient l'ancienne cité qui croûtonnait
sur un méandre de la Meuve, blottie contre son beffroi du XIIème siècle. » La violence s'exerce au
quotidien dans cet établissement. A l'égard des professeurs, mais aussi des
élèves qui subissent la loi du plus fort, sous le regard indifférent d'une Administration
qui ne cherche qu'à minimiser les problèmes pour ne pas attirer l'attention des
medias et ne pas subir les foudres de la hiérarchie, mais « je le répète,
ce que je voulais d'abord, c'était montrer l'évolution d'un homme qui a
toujours subi les événements avec passivité jusqu'au moment où il se rebelle et
refuse d'appliquer des règles absurdes imposées par un Ministère déconnecté des réalités ». Lorsque le proviseur reçoit
Julien Chabrenac qui vient tout juste de réussir le concours de personnel de
direction, il lui annonce d'emblée ce qui l'attend : « Mettez-vous bien ça
en tête, n'imaginez surtout pas que C... soit une ville tranquille où l'on
échappe aux vicissitudes des banlieues, vous l'apprendrez à vos dépens. Nous sommes
ici dans les nouveaux quartiers qui ne bénéficient pas de la douceur
provinciale chère aux poètes bucoliques. Dans ces immeubles - et il montra du
doigt les tours en béton bardées d'antennes satellites qui enserraient le lycée
- il y a des turcs, des maliens, des marocains, des pakistanais, des
cambodgiens mais aussi tout le quart monde français, pour la plupart des
ouvriers agricoles qui travaillaient naguère dans les grandes exploitations
céréalières du plateau et qu'une mécanisation à outrance a condamnés au travail
en usine. Savez-vous que les tests subis par les
conscrits pour les « 3 jours » classent notre département au premier
rang de l'illettrisme en France ?... Ce sont les enfants de tous ces
laissés pour compte de la société que nous scolarisons ici. On a tout à leur
apprendre. Ici, avant d'être enseignant, il faut être éducateur ! » Ne suffit-il pas, en effet, d'ouvrir un
quotidien, à la page des faits divers, d'écouter la radio ou de regarder la
télévision pour constater que les phénomènes de violence scolaire ne
connaissent plus de limites territoriales ? Ils prennent des formes
variées, certaines qualifiées de mineures (et par là-même non répertoriées sur
les logiciels du Ministère) et désignées sous le vocable euphémique d' « incivilités »,
depuis, probablement, que le mot politesse jugé rétrograde a disparu du
vocabulaire de l'école : Salles de classe
taguées, matériel scolaire dégradé,
systèmes d'alarme détériorés, insultes, menaces verbales, pneus des voitures
des enseignants crevés, carrosseries lacérées, crachats dans les escaliers et
les couloirs, casquettes de base-ball rivées sur la tête des élèves, walkmans
branchés en permanence, sans oublier les incontournables portables dont les
sonneries intempestives perturbent les cours ! Quant aux actes délictueux, ceux
qui donnent parfois (mais pas toujours) lieu à des plaintes, à des
signalements, ils se sont multipliés. Ce sont les élèves rackettés pendant les
récréations, les vols avec violence, les agressions physiques à l'encontre des
professeurs ou des chefs d'établissement, autant de faits très graves qu'il eût
été impensable, il y a encore quelques années, d'observer dans des
établissements où l'on est censé enseigner et éduquer. Un monde éducatif à la
dérive L'univers éducatif que Michel LOIRETTE décrit
dans son roman apparaît donc, comme un
monde à la dérive, piloté par des psycho-sociologues, sortes de docteurs « Folamour » imbus
d'eux-mêmes dont la faculté à comprendre les situations que vivent les
établissements scolaires est inversement proportionnelle à leur capacité à
proposer des recettes plus inventives les unes que les autres : « Travaux Personnels
Encadrés, Parcours diversifiés,
Itinéraires de découvertes, Travaux
croisés » et autres expérimentations de haut vol qui font ressembler
les cours des professeurs à des jeux de piste pour patronage !... Ne serait-il pas plus
judicieux d'apprendre aux lycéens à s'exprimer dans un français correct ?
Michel LOIRETTE nous montre alors une copie de seconde truffée de fautes d'orthographe
et d'incorrections grammaticales et la lettre du père de l'élève qui proteste
véhémentement contre la note de 5/20 attribuée par le professeur parce qu'il
l'estime « injuste et humiliante » ! Lorsque Julien s'apprête à
passer le concours de personnel de direction, il vient tout juste de découvrir
dans un journal le récit d'une
expérience pédagogique : « Les profs du collège
Youri Gagarine de la ZEP de Pétaouchnock livraient aux lecteurs le fruit de
leurs expériences. Ils avaient réussi à vaincre l'échec scolaire ! mais à
quel prix ! Plus de programmes, plus de copies, les élèves travaillaient
sur Internet avec un cartable électronique. L'orthographe, tout le monde s'en
foutait puisque le correcteur automatique corrigeait les erreurs et comme sur
la « Toile », il n'y avait plus besoin ni d'accents ni de majuscules,
les élèves gagnaient un temps précieux en négligeant ces derniers vestiges de
la culture bourgeoise. Ils avaient tous entre 15 et 20/20, passaient sans
problème dans la classe supérieure et obtenaient leur brevet des collèges, les
doigts dans le nez, grâce au contrôle continu. France 3 avait fait un reportage
saisissant de vérité où des jeunes tout excités d'être filmés n'arrêtaient pas
de grimacer devant la caméra et hurlaient qu'ils allaient
« pounechaver » la journaliste, une pin up qui animait le samedi soir
des émissions de variété sur une autre chaîne. La ministre déléguée à
l'enseignement scolaire ravie pour une fois de voler la vedette au ministre
était venue admirer les exploits de ces jeunes prodiges et ne tarissait pas
d'éloge sur les mérites d'une pédagogie qui valorisait ainsi
l'ignorance. » « Je me presse de rire
de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer » (Beaumarchais) Il n'est pas nécessaire de
lire entre les lignes pour s'apercevoir que le rire, l'humour dissimulent les
souffrances de quelqu'un qui constate le rapide et inéluctable déclin des
valeurs humanistes qui ont fondé l'école : respect de l'autre, refus de la
violence, lutte contre l'ignorance, la bêtise et l'intolérance. Michel LOIRETTE a
choisi le ton de la dérision et de
l'humour pour décrire cet univers à la dérive parce « qu'il vaut mieux
être drôle pour parler de ses blessures » ! « A travers ce livre,
j'ai voulu aussi rendre hommage à mes anciens professeurs qui m'ont appris à
croire aux valeurs transmises par l'école. Que soient associés dans ma
gratitude, les noms du géographe Louis Poirier (alias l'écrivain Julien Gracq),
du poète philosophe Michel Deguy, de mes maîtres à la Sorbonne, l'historien
Pierre Miquel et le comparatiste René Etiemble (décédé en 2002). Je leur dédie ce livre parce
qu'ils m'ont appris à savoir dire non ». |