Michel LOIRETTE
La boîte brisée

Recueil de nouvelles régionalistes s'inspirant d'histoires et de légendes aveyronnaises.
Retrouver toutes les œuvres de Michel Loirette sur son site web.

Un nouveau chapitre gratuit tous les mois... Revenez souvent !

Chapitres :  

  1. LA BOITE (lecture gratuite en mars)
  2. L'ANGLAIS (lecture gratuite en mars)
  3. LE DEJEUNER SUR L'HERBE (lecture gratuite en mars)
  4. L'EAU DE PIQUEPOULE (lecture gratuite en mars)
  5. LA PETROLETTE (lecture gratuite en mars)
  6. CHARLEMAGNE (lecture gratuite en mars)
  7. LE MONSTRE DE GOZON (lecture gratuite en mars)
  8. LES FRAISES (lecture gratuite en mars)
  9. LA DEMANDE EN MARIAGE (lecture gratuite en mars)
  10. LA DOUCE (lecture gratuite en mars)
  11. LES RELIQUES (lecture gratuite en mars)
  12. LA MULE (lecture gratuite en mars)
  13. LE MOUTON NOIR (lecture gratuite en mars)
  14. LE MAS RAYNAL (lecture gratuite en mars)

 

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PROLOGUE

J'ai presque honte à dire que je suis né au 63 de l'Avenue de la Motte Piquet, non point dans un appartement cossu du 15ème arrondissement mais dans l'anonymat d'une clinique où la médecine moderne a choisi, dans un souci d'hygiène et de prophylaxie, de faire naître les bébés. Mes ancêtres qui ne savaient pas encore que les microbes existaient eurent le privilège de voir le jour, entourés de leur famille, dans des lieux qui les virent grandir.

Mon père était né à Saint-Affrique dans l'Aveyron et ma mère à Cusset dans l'Allier, à quelques kilomètres de Vichy. De mes origines rouergates et bourbonnaises, je ne conserve que peu de souvenirs. Tout au plus, du côté de ma mère, devrais-je me rappeler les passages rituels et obligés au cimetière de Cusset lorsque nous allions nous recueillir sur la tombe de mes grands-parents. Je me souviens aussi de clichés anciens, un peu défraîchis, extraits d'albums de photographies où ma mère âgée de 4 ou 5 ans posait avec mon grand-père devant son atelier de maréchal-ferrant ou encore avec ma grand-mère devant le magasin de couleurs et de quincaillerie qu'elle tenait rue de la Barge. Autant dire que je ne conserve que peu de souvenirs de ces grands-parents.

Mon grand-père paternel me fut aussi inconnu puisqu'il décéda bien avant que je ne naisse d'une maladie pulmonaire. En revanche, j'ai bien connu mon autre grand-mère car je devais avoir 15 ans lorsqu'elle mourut à Saint-Rome-de-Tarn. Je ne la voyais, pourtant, que pendant les vacances d'été, lorsque mes parents faisaient une halte à Millau. Elle vivait alors dans un petit appartement situé dans une ruelle très sombre, la Traverse de La Tine près de la Place du Mandarous. Elle se prénommait Eliza mais tout le monde l'appelait Eugénie. Les souvenirs les plus délicieux que je conserve d'elle datent de l'époque où elle entreprit un des plus longs voyages de son existence, puisqu' à 74 ans, elle monta pour la première fois dans le train de Béziers qui devait la conduire sous la grande verrière de la Gare de Lyon, après avoir traversé les causses désertiques de l'Aveyron et franchi la Truyère sur le viaduc de Garabit. Je me souviens, surtout, qu'à l'occasion de ce bref séjour dans la région parisienne –nous habitions alors à Vanves, dans les Hauts de Seine– elle avait préparé des choux à la crème et que j'en fus le principal sinon l'unique consommateur. De nombreuses anecdotes révéleraient sans doute mon penchant naturel pour les friandises mais ma mère qui était férue en régimes alimentaires bizarres avait décrété que certains aliments m'étaient interdits; aussi, n'avais-je pas le droit de savourer la pâte de coing ou la confiture de gratte-cul, sous le seul prétexte que ces produits présentaient le redoutable inconvénient de vous constiper pendant plusieurs jours. C'était, bien évidemment, les mets les plus prisés lorsque je rendais visite à ma grand-mère. Les pots soigneusement rangés en haut du buffet, les plaques de pâtes de coing enveloppées dans du papier imbibé d'eau de vie afin de les protéger des moisissures m'attendaient et Eugénie, pour faire enrager ma mère avec qui elle ne s'entendait guère, passait le plus clair de son temps à m'en proposer, ce que je n'avais pas le cœur de refuser!

Tous les souvenirs ne furent pas aussi agréables. L'appartement de la Traverse de La Tine était exigu et ne bénéficiait d'aucun confort : pas d'eau courante, pas de toilettes, il fallait descendre dans la cour lorsque l'on voulait se laver ou aller au petit coin. Comble de l'horreur, une année, l'appartement fut infesté de punaises, ces insectes redoutables qui envahissent les draps et les matelas en pleine nuit, vous piquent et sucent votre sang. A la suite de cet incident, ma mère décida que nous ne coucherions plus là et nous prîmes l'habitude de séjourner chez le cousin Paul qui logeait près du beffroi de Millau, ce qui nous valut le privilège d'être réveillés, non plus par les punaises, mais par les sonneries du carillon.

Séjourner à Millau, c'était aussi rencontrer les oncles, les tantes, les cousins et les cousines et entendre des histoires que l'on se plaisait à raconter en fin de repas, histoires souvent entrecoupées d'éclats de rires ou de chansons en pâtois. Car le plus surprenant pour le jeune parisien que j'étais, c'était d'entendre tout ce petit monde s'exprimer dans une langue qu'il ne connaissait pas. Ma grand-mère s'exprimait, indifféremment, en français ou en langue d'oc mais elle utilisait volontiers la langue de ses ancêtres dès qu'elle se mettait en colère ou lorsqu'elle ne souhaitait pas que l'on comprît ce qu'elle disait. Certaines de ces histoires appartenaient au patrimoine du Causse Saint-Affricain et du Millavois et avaient souvent pour cadre les hautes terres de Gozon, ce petit territoire limité au nord par les raspes du Tarn et au sud par le Dourdou et qui fut pendant des siècles le "royaume" des seigneurs de Gozon mais plus longtemps encore celui des druides, des [1]emmascaïres et des devinaïras.

Ce sont quelques uns de ces récits que ma mémoire avait enfouis comme des pommes de terre sous la cendre chaude que j'ai tenté de restituer tels qu'ils me revenaient, sans me soucier d'une quelconque chronologie.


Chapitre 1 - LA BOITE

"Autant que je m'en souvienne, cette boîte noire en carton bouilli avait toujours excité mon imagination. Elle trônait sur le rebord de la cheminée et personne n'aurait eu l'idée d'y toucher. Chacun la contemplait avec respect comme s'il s'agissait des reliques sacrées de Sainte-Foy! Il ne se passait pourtant pas de vacances que je ne demande à percer son mystère..."

Le jeune parisien découvre tous les étés les histoires merveilleuses du peuple des causses de l'Aveyron, de ces hautes terres qui surplombent les villes de Millau et de Saint-Affrique et qui furent pendant des millénaires celles des druides, des [1]emmascaïres et des devinaïras...

Suite...



[1]Les sorciers et les envoûteurs